Extrait de l’ éditorial de la revue’ Fluvial’

mardi 17 janvier 2012
par  Alain Ricome
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L’ instituteur de mon enfance nous invitait à examiner la carte de France, parcourue, par trois réseaux sinueux : le jaune des grandes routes, le noir des chemins de fer et le bleu des cours d’ eau.

Les élèves passionnaient pour les deux premiers, synonymes de modernisme, car dans ces années là on se demandait à la table familiale s’ il était vrai que la nouvelle Citroèn permettait de faire Paris-Nice dans la journée, tandis que de son coté une locomotive électrique venait d’ enlever un record du monde en dépassant le 300 à L’ heure. Avec la vitesse , la géographie de la France se modifiait.

Voila à quoi nous pensions, un jour seul à la barre sur un canal sans fin. Après l’ écluse "bonjour, au revoir", une autre écluse, puis une petite ville, puis un bout de rivière, puis une jonction, puis un village...

Nous ne coucherons pas à Paris ce soir, ni demain, Paris n’ est pas au bout du méandre. Paris est à, voyons, combien : encore neuf jours, si tout va bien.

Fin de notre voyage non pas mardi prochain, mais mardi en huit.
Comme elle est vaste la France ! Automobiliste, vous faites vos cent kilomètres dans l’ heure moyenne normale sur un long parcours auto routier.

A Nantes le matin,à Nancy le soir. Comme il est petit notre pays.
En bateau l’ unité de temps retrouvé est la journée. Et comme il y a des aléas, une destination, c’ est trois à quatre jours ou une semaine à une semaine et demie, un langage qui est encore souvent celui de la petite batellerie. On remonte ainsi le courant du temps, quand la mesure du sol n’ était pas dans nos têtes, mais dans nos pieds.

Dans une civilisation rurale ou un était une surface, celle que l’ on peut labourer en une journée. Une unité de fatigue, quoi. Il n’ est d’ autre mesures qu’ humaine : la coudée, le pas, le pouce et le suffirent pour bâtir les cathédrales.

Nos cartes de navigation donnent, avec bon sens, une égale importance aux distances et aux écluses, vous êtes un soir sur la Saône. Dijon est tout près, 25 kilomètres, dit votre Michelin. On y fera un saut demain matin, pour visiter. Mais votre vagnon dit 22 écluses.

Le plaisancier pige tout de suite. A raison d’ un quart d’ heure par écluse, il passera plus de temps à monter et descendre qu’ à avancer.
Dijon devient du fait une cité immense et lointaine dont l’ accès demande préparation et ténacité, et qui pour tout dire, se mérite ; alors que si l’ on s’ y rendait en deux ou trois coups d’ accélérateur.

Comme sans y penser, elle ne serait rien d’ autre que ce qu" elle est. On ne fait pas un crochet désinvolte, en bateau. On y va quand on a huit ou on n’ y pas.
Conversation de retour de vacances. L’ un est resté 19 heures dans un fauteuil. Vol direct Tahiti, et au terme de son supplice, il avait fait la moitié du tour du monde. Un autre est allé au Portugal en voiture, 24 heures à se relayer au volant. Pour eux, le monde entier c’ est la porte à coté.

- et vous ?
- Oh, nous on est allé à Nemours
- A Nemours ?
- Vous ne me croirez pas, il a fallu une semaine en bateau. Aux prochaines vacances, nous pousserons peut être jusqu’à’ à Montargie !

La géographie du bateau déroule tout doucement son tapis devant vous, il semble qu’ à la barre, le temps suspend son vol. C’ est la vraie magie de la plaisance fluviale.

On traverse le jardin de la France dans son logis flottant, et ce jardin est incommensurable.

Ce sera tout pour cette fois

M-P. Simon


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